Collectif Massimu Susini

Mafia : le troublant silence

Conférence de presse du collectif Massimu Susini
C’est sous ce titre que le Collectif antimafia Massimu Susini a donné une conférence de presse ce 12 juin 2021, interpellant l’ensemble des candidats à l’élection territoriale, futurs élus. Voici son texte.

 

«Les candidats aux élections territoriales viennent d’exposer leurs programmes et de débattre dans les médias. Un constat s’impose : rien, pratiquement rien, dans leurs programmes, aucune proposition concrète, aucun programme d’actions pour lutter contre ce fléau qui devrait constituer leur préoccupation majeure puisqu’ils prétendent vouloir défendre les intérêts des citoyens, le bien commun.

Interrogés sur le renforcement de l’arsenal judiciaire, ils opposent, pour la plupart, le prétendu risque d’atteintes aux libertés ! Reconnaître, du bout des lèvres, l’existence d’une voyoucratie, d’une dérive mafieuse, oui, à la limite mais c’est tout.

Notre Collectif a été créé à la suite de l’assassinat, le 12 septembre 2019 à Cargèse, de Massimu Susini, militant politique, associatif et défenseur de l’environnement.

Le jour même de son assassinat, de nombreuses voix de différents horizons ont immédiatement désigné la criminalité organisée, la mafia, comme l’auteur de ce crime. Lors de son enterrement, des milliers de Corses, en lui rendant hommage, ont répondu aux assassins.

Ensuite, à Corte, des centaines de personnes ont crié leur refus de la mafia et en ont appelé à la responsabilité des autorités et des élus.

Depuis, des articles de journaux, des reportages, des livres… des arrestations sont venues confirmer la forte implantation d’une mafia locale sur notre île.

Depuis presque deux ans la mafia est un des centres de préoccupation des Corses. On aurait pu penser que les candidats prendraient en considération cette inquiétude, qu’ils proposeraient des solutions, des pistes de travail pour y faire face. Qu’ils nommeraient au moins, le mal…

Mais à ce jour, en dehors de quelques réponses embarrassées à des questions de journalistes, aucun ancien élu quasiment aucun candidat ne parle clairement de ce fléau a fortiori des moyens de le combattre.

Voyons ce qu’est la réalité mafieuse.

 

  1. Bruno Sturlèse, Avocat général, Président de la Commission nationale de la protection des rependis, confirmait cette évidence : « il ne faut pas avoir peur des mots. Il existe une mafia en France. Cette forme de criminalité se concentre essentiellement sur la région corso-marseillaise. Les autorités politiques françaises, dans leur grande majorité, refusent d’utiliser le terme. C’est un tort car, pour lutter efficacement contre un tel phénomène, il faut d’abord le nommer correctement » (Le Monde 28/04/2021).
    Sur ce point, nos élus, toutes tendances confondues, semblent être, curieusement, en accord avec les autorités politiques françaises et les représentants de l’État en Corse. Eux non plus « n’aiment pas le mot mafia ».

 

  1. La Corse est la seule région où un Président de Chambre de Commerce a été assassiné, où la présidente qui lui a succédé s’est empressée de démissionner comme le fera ensuite son successeur (qui a eu le courage de parler de menaces sans qu’aucune enquête ou dissolution n’ait été envisagée) et tous les élus qui le soutenaient.
    Les marchés publics truqués de cette même chambre de commerce sont aussi à l’origine de l’assassinat des deux responsables de société de sécurité.
    S’en est suivi aussi l’assassinat d’un avocat et une tentative d’assassinat contre un autre.

 

  1. La Corse est la seule région où sont assassinés, en janvier 2009 un chef d’entreprise puis en avril 2013 le président du Parc Naturel Régional, et maire de Letia, qui s’intéressaient de trop près aux marchés publics des déchets (centre des déchets de Vico).

 

  1. La Corse est la seule région où un proche conseiller du Président de l’Exécutif est assassiné (mars 2011) puis un Directeur Général des Services du Conseil Général de Haute-Corse (23/03/2014).
    Les enquêtes qui ont rarement abouti, ont clairement montré que c’était le crime organisé qui en était l’auteur. Ces enquêtes ont également fait apparaître des liens organisationnels entre différentes bandes pour brouiller les pistes.
    Les méthodes, l’ingénierie, la cruauté ne sont plus utilisées seulement « pour les règlements de compte ». Elles frappent désormais les « cadavres exquis », à savoir les décideurs, des politiques.
    C’est bien le signe que nous n’avons plus affaire à une criminalité de rapines, mais bien à la volonté organisée de prise de contrôle de la société pour en capter les richesses de manière continue en limitant les risques.
    Ce qui caractérise justement une mafia, c’est sa volonté de devenir un pouvoir occulte, un pouvoir parallèle à celui des instances que la société s’est donnée pour se gouverner.

 

  1. La Corse est la seule région où brûlent régulièrement les camions à déchets et une entreprise qui les traite, à trois reprises !
    Où un responsable d’entreprise de ce secteur déclare publiquement être menacé au point de rouler en voiture blindée.

 

  1. La Corse est la seule région où brûlent, pratiquement chaque mois, des engins de chantier de sociétés qui œuvrent sur des marchés publics.

 

  1. La Corse est la seule région où depuis des années les assassinats liés à la spéculation immobilière, notamment en plaine orientale et l’extrême-sud, se multiplient. Où des militants associatifs sont menacés, ou font l’objet d’attentats.

 

  1. La Corse est la région en Europe qui, rapportée à sa population, a le taux le plus fort en matière d’assassinats commis par la criminalité organisée (y compris pendant le Covid !) et le taux le plus faible pour leur élucidation, au point que désormais la coordination pour la sécurité en Corse ne communique plus les statistiques des règlements de compte, attribués au crime organisé et le taux de résolution des affaires.

 

  1. La Corse connaît une concentration accélérée de l’économie rentable au profit de quelques sociétés, on peut désormais parler d’oligarchie, dont l’infiltration par des groupes mafieux est de plus en plus évidente.

 

  1. Depuis le rapport Glavany, jusqu’aux derniers rebondissements de l’enquête sur la bande du Petit Bar, les Corses peuvent constater que la porosité entre certains éléments de la police/gendarmerie et des groupes mafieux dure depuis des années, sans interruption. Des écoutes font état de projets de corruption d’un juge et d’un… journaliste.
    Circulaire Taubira (23/11/2012) : « La violence et l’affairisme ont atteint dans l’île un niveau qui est sans commune mesure avec les autres régions françaises, et qui menace les fondements mêmes de la société. Or si le taux d’élucidation apparaît en progression, il demeure nettement en-dessous de la moyenne nationale. »
    Le taux de certificats de maladie pour les jurés d’Assises frôle les 50 %. Et il est notoire qu’ils font l’objet de pressions de toutes sortes.

 

Malgré tous ces faits, que les Corses connaissent en grande partie, que les autorités connaissent, que les journalistes connaissent, que les responsables politiques connaissent (et le disent… en privé), la mafia est la grande absente de cette campagne électorale et donc sont absentes également les propositions pour la combattre.

Ce déni général, en contradiction avec la prise de conscience populaire, nous inquiète fortement pour le présent, mais surtout pour l’avenir.

Est-ce à dire que l’infiltration mafieuse se manifeste aussi pendant ces élections ?

Nous le pensons.

Nous le pensons car cette assemblée sera élue pour 6 ans et demi avec des pouvoirs financiers très importants. Ce qui signifie que la mafia a intérêt à y être présente d’une manière ou d’une autre pour capter les marchés publics et orienter les décisions stratégiques sur les transports, le Padduc et le bien nommé « marché des déchets ».

 

Conséquences logique : l’enterrement de la commission « violence ».

Réunie une seule et unique fois, en janvier 2020, suite à l’assassinat de Massimu Susini et à la création des deux Collectifs, cette commission devait se réunir, à nouveau, en avril 2021, dans le cadre d’une session extraordinaire.

Cette session a été annulée, sans explication. Nous souhaitons, quant à nous, proposer d’en finir avec le terme flou de « violence » pour proposer « Commission mafia ».

Tous les entretiens et propositions des associations et des collectifs ont été jetés aux oubliettes. Mais que se passe-t-il ?

Les élus croient-ils qu’en se voilant la face, un phénomène criminel de cette ampleur va disparaître tout seul ? Que ne possédant pas « les pouvoirs régaliens » (refrain connu !) de l’État, ils ne peuvent rien faire ?

Pensent-ils passer à travers les gouttes ? Le passé récent devrait pourtant les alerter.

À une époque, la Corse s’est mise sous la protection de la Vierge Marie. Et puis, plus sûrement, elle s’est dotée d’une Constitution et de représentants, dont le plus illustre a été Pasquale Paoli.

Mais pour ce danger mortel qui nous menace, le danger mafieux, les Corses doivent-ils invoquer la Vierge Marie ou doivent-ils demander aux élus, ici les candidats, de se montrer dignes d’eux en désignant en combattant un mal qui n’a pas encore gagné.

Les Corses doivent-ils s’estimer sous la protection de leurs élus ou doivent-ils appeler au secours l’État ?

La Conférence de presse de ce jour s’adresse aux candidats, à tous les candidats et futurs élus. Vous avez une mission de service public, de la salubrité publique, vous qui avez l’ambition de représenter l’intérêt général.

Il est encore temps de prendre le problème à bras le corps, avant que ce ne soit lui qui le fasse.

Soyez les premiers protecteurs des Corses. Soyez dignes d’eux.

N’ayez pas peur de monter en première ligne pour combattre la mafia.

Les Corses, au-delà des opinions divergentes, attendent une unanimité des élus sur la mafia. Au moins pour lever toute ambiguïté.

« La mafia uccide, il silenzio pure. »  La mafia tue, le silence aussi. » •

 

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